Pour information : article du quotidien du médecin
À propos du Grenelle des ondes
Que faire de la peur?
Physicien à l'université Pierre- et-Marie Curie, Impliqué dans la formation du panel de citoyens réuni par la mairie de Paris pour un avis sur le développement des antennes de téléphonie mobiles, Jacques Treiner examine la question des-ondes électromaqnétiques émises par ces antennes.
La norme, souvent citée, de 0,6 V!m, apparaît selon lui n'avoir aucun fondement sclentifique*.
LE GRENELLE des ondes a rendu récemment ses conclusions, et les associations, qui prônent une diminution de la puissance émise par les antennes-relais de téléphonie mobile sont déçues : la norme qu'elles préconisent n'a pas été adoptée. Cette norme s'exprime par un chiffre que l'on voit cité un peu partout: le champ électrique
associé aux ondes électromagnétiques ne devrait pas dépasser 0,6 volt par mètre, au lieu des 40 V/m actuellement en vigueur, Il n'est pas question ici d'entrer dans la physique des ondes, mais, en retraçant l'histoire de ce chiffre, de s'apercevoir que la valeur de 0,6 V/m n'a pas de fondement scientifique.
Premier acte: Clinique psychiatrique de l'université de Mainz, Allemagne, 1996. Deux chercheurs, K Mann et J. Rôschke, entreprennent une étude sur les effets des ondes sur le sommeil d'individus en bonne santé. Ils enregistrent leurs électroencéphalogrammes sous exposition d'ondes de mêmes caractéristiques que celles des antennes de téléphonie mobile, et décèlent certaines modifications, notamment une réduction de la période du sommeil qui est accompagnée de mouvements rapides des yeux. Leur étude, publiée dans une revue médicale autrichienne (Wien Med. Wochenschr.) conclut à la nécessité de poursuivre ces travaux préliminaires.
Sur la base de cette publication, G. Oberlefd et Ch. König, du Département de santé publique de Salz bourg (Autriche), proposent une norme qui, exprimée en terme de puissance de.1 milli.watt par mètre carré. Ce chiffre est obtenu en divisant par 500, par précaution, la valeur utilisée par Mann et Rôschke, qui est de 0,5 W/m2 Un tel facteur est couramment utilisé en toxicologie. C'est cette puissance de l milliwatt par mètre carré qui, convertie en champ électrique; donne le fameux 0,6 V/m.,
Deuxième acte. K Mann et J. Ra schke s'associent à P. Wagner, W. HiUer et C. Frank, de la même Cli nique psychiatrique de Mainz, et publient en 1998 dans la revue «Bioelectromagnetics » une étude similaire à la première, mais avec une valeur de la puissance des ondes par unité de surface 2,5 fois moins intense que la, première. Cette étude ne permet d'observer aucun des effets de la première. Les auteurs donnent comme cause possible de cet échec la réduction de la dose délivrée, qui ne permettrait pas de mesurer des effets statistiquement significatifs, Troisième acte. En 20.00, une ëquipe.composée de P. wagner, J. Rôschke, K.l1arm, J. Fel1, W. Hiller, O. Frank et M, Grôztnger publie dans la revue «Neuropsychobiologie" une étude sous pratiquement le même titre que celle de 1998 . Cette fois, la puissance des ondes auxquelles les dormeurs sont soumis est de: 50 W/I1'l, soit 100 fois la puissance de la première étude. Les chercheurs concluent que " les résultats n'ont montré aucun effet significatif de l'exposition au champ, qu'il s'agisse des paramètres conventionnels de de sommeil ou du spectre de l'électroencéphalogramme».
Non reproductible. Résumons. Une première étude semble voir un effet des ondes de téléphonie mobile sur le sommeil, deux études ultérieures, l'une avec une puissance 2,5 fois plus faible, l'autre avec une puissance 100 fois plus forte, ne voient rien. 'Voilà toute l'histoire factuelle du 0,6 VIm. Il est remarquable de constater que presque dix ans après la publication de ces articles, le rapport Bio Initiative 2007 n'apporte rien de nouveau sur le sujet
Que conclure? Le travail scientifique a des critères de validation. S'il s'agit dune théorie, il ne suffit pas qu'elle rende compte. de phénomènes connus, il faut qu'elle prévoie des effets nouveaux. S'il s'agit d'une expérience, il faut qu'elle soit reproductible. L'absence de reproductibilité interdit de tirer toute conclusion d'une expérience. Sans l'exigence de reproductibilité, pas de technologie efficiente, et le monde autour de nous s'effondre. Sans elle, les avions tomberaient comme des mouches, les bateaux flotteraient comme des fers à repasser.
Dans le cas présent, nous sommes clairement dans le cas d'une expérience non reproductible, donc d'un effet non mis en évidence, d'un non-effet La revendication du 0,6 volt-par mètre n'a donc aucune base scientifique.
Mais la peur, une certaine peur existe, et cette peur est bien réelle: 'ses effets, eux, sont mesurables sur les individus qui la vivent. La vraie question devient alors celle ci: que faire, lorsqu'une peur est là, même s'il est avéré que son point d'ancrage proclamé est inexistant?
>JACQUESTREINER
[email protected]La version intégrale de cet article est publié dans le bulletin de la Société française de physique.
·LE QUOTIDIEN DU MÉDECIN· N" 8609 - MAR0I8 SEPTEMBRE 2009 -www.quotimed.com